Atelier été 2019: Mettre en lumière

En lien avec l'association Tisseurs de Mots

Travail d’écriture en fragments sur un corps de métier, sur un quartier et ses habitants, une ligne de bus, lieux de vie, de passage, de vacances...etc…

 

Pour se mettre dans l'atelier:

 

Lire extrait d’Hedi Kadour p93/94 « Les pierres qui montent »

 

Michèle a apporté les documents sur lesquels elle travaille en ce moment au bureau. Des textes sur les employés de voirie, des éboueurs qu’aujourd’hui on appelle officiellement   « ripeurs ». De gros problèmes de colonne vertébrale, lordoses, etc. En province, ils ont souvent deux métiers dans la même journée, alors ils font celui d’éboueurs le plus rapidement possible et deviennent magasiniers ou livreurs jusque dans la nuit.

   Afin d’aller plus vite, ils ne se servent pas des élévateurs du camion, ils prennent les poubelles à bout de bras et en lancent le contenu dans la benne. A ce rythme, ils peuvent économiser près de deux heures de service. Les patrons ne sont pas regardants, ils payent peu.

 

Et Fabienne Swiatly

 

{Fabienne réalise des résidence d’écriture dans des lieux oubliés des médias, des lieux de travail, de labeur, de colère, de tendresse, de fraternité, des lieux durs aussi (Hôpitaux, crêches, trottoirs, prisons, usines…Elle promène son regard photographique et par fragments, donnent à voir des vies, des conditions de vie et beaucoup d’humanité. Voici quelques extraits de « Elles sont au service », portraits de femmes au travail.}

 

Elles sont au service # - 39 Elle essuie le comptoir, les verres, le dessus de la machine à café, les feuilles de la plante verte. Salue celui qui rentre et demande : Je te sers quoi aujourd’hui ? On l’a vu dégager du bistro des gars qui avaient trop bu et même tenir tête à celui qui la menaçait de son poing. Ils reviennent toujours une fois dessoûlé et elle les accueille pas rancunière. L’ivresse des hommes c’est son métier.

 

# Elles sont au service # - 27 Flottant dans une grande baignoire d’eau chaude, un corps nu qu’elle parcourt lentement avec le gant de toilette aux initiales de l’hôpital cousues dessus. Un corps d’homme qui ne peut plus bouger seul, atrophie des muscles. Elle ne parle pas, plonge le gant régulièrement dans l’eau pour qu’il reste chaud. Sa main va de l’avant. Ni ne contourne, ni ne s’attarde sur le sexe de l’homme. Il cligne plusieurs fois des yeux, sa façon à lui de dire merci

 

# Elles sont au service # - 35 Sa main vérifie qu’aucune mèche ne dépasse du voile qui enserre son visage, on ne saura rien de la couleur des cheveux. Elle dit : Faire grandir les enfants ce n’est pas un vrai boulot mais beaucoup de travail quand même. Du vernis rouge sur les ongles des pieds. A la maison toute la journée et le mari qui rentre tard le soir. Le ménage, les devoirs, les repas à préparer … tout de même. Elle ne sait pas bien dire si c’est du travail ou pas, le sourire est désolé.

 

# Elles sont au service # - 34 L’hiver, il fait encore nuit quand elle ouvre le portail de l’école. Les arbres sont des silhouettes immobiles dans la cour. Allumer vite les lampes de l’entrée, fermer la porte à clé derrière elle parce que c’est étrange tout ce silence. Dans les toilettes, elle brosse les petites cuvettes avec un gel à l'odeur de chewing-gum, puis enclenche de la paume toutes les chasses d'eau en même temps, comme un bruit de cascade qui lui rappelle les enfants. Elle se dépêche. 

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# Elles sont au service # - 33 Elle est celle qui travaille avec l’institutrice devenue professeure des écoles. Emmène les enfants aux toilettes, ouvre les boutons, baisse les culottes, remonte les collants. Distribue les goûters et s’assoie sur la petite chaise parmi eux quand c’est l’heure du conte. Elle est un prénom dans la bouche des enfants mais pour les parents, elle est le plus souvent l’Atsem. Agent territorial spécialisé des écoles maternelles. Sur un site il est précisé qu’ils sont 99,% de femmes.

 

# Elles sont au service # - 31 Elles marchent ensemble dans la cour, côté soleil l’hiver, côté ombre l’été. Va jouer, disent-elles à l’enfant qui toujours s’accroche aux jupes même quand c’est un pantalon. L’une ou l’autre s’écarte parfois du groupe car il faut bien relever celui qui crie, rhabiller celle qui n’a pas fermé son manteau ou sermonner l’autre qui ne veut pas prêter le ballon. Parfois, il y a au milieu d’elles un homme que les enfants appellent maître.

 

# Elles sont au service # - 32 L’enfant s’accroche à elle de ses doigts mollusques, elle le retient sans perdre de vue les autres petits qui jouent dans la salle aux larges baies vitrées : Maman va revenir. Mais tout à l’heure est une éternité pour l’enfant qui ravale ses pleurs. De sa main elle l’attire contre son ventre sans penser à la morve qui va salir le tee-shirt, elle est un rocher fidèle dans le ressac des départs.

 

# Elles sont au service # - 30 Premier jour de stage, elle attend dans le couloir de l'entrée du personnel sans que personne ne se soucie d'elle, quinze à peine, elle se tient là avec une envie de fuir. Sa tutrice est en retard. Elle irait bien fumer une cigarette quand une responsable arrive et la regarde surprise : J'avais complètement oublié mais où je vais la poser celle-là ?

 

# Elles sont au service # - 29 Métier de merde, elle répond à la conseillère du Pôle Emploi en se retenant de pleurer parce que devant cette femme elle ne veut pas s’abandonner. Pas la merde au figuré mais cette chose qu’on produit, contient puis libère et qu’elle a si souvent nettoyée sur le corps des patients. La merde des autres je n’en veux plus. La conseillère hoche la tête et dit comprendre mais insiste tout de même car c’est un CDI qui lui est proposé.

 

# Elles sont au service # - 26 Elle ramène délicatement le cheveu rare sur l’arrière de la tête avec une brosse douce qui rappelle celle qu’on utilise pour les nouveaux-nés. Pose sa main sur l’avant-bras qui tremble, peau jaune sur le blanc raide du drap. Ses kilos en trop sont une entrave à ses mouvements, elle ne s’économise pas pour autant. D’une voix paisible, elle dit au visage vieux et lointain : Voilà. Vous êtes toute belle.

 

 

Proposition d’écriture :

 

 Emparez-vous d’un lieu, d’un métier, d’un quartier, d’un immeuble…etc. Ecrire par fragments ou par bloc (un bloc ne dépeint qu’un seul sujet, qu’une seule personne) afin de nous donner à voir ce qui nous semble ordinaire, invisible. Mettre en lumière, des gestes, des personnes (de façon anonyme) que chacun écrive durant l’été ses petits « #elles sont en service ou « #Les gens du bus B »….ou « dans le quartier TrucMuche… ». Vous pouvez être inventifs !!! Etre décalés !!!!

Envoyer vos textes entre le 15 août et fin septembre en .doc à tisseursdemots@gmail.com. Nous pourrons les mettre en ligne sur notre site, si vous le souhaitez.

Bel été à vous tous.

 

Véronique Le Milan