Que ma joie demeure, Jean Giono, 1925

"Et puis la vie, la vie et la vie. pas malheureux, pas heureux, la vie. Des fois, il se disait...Mais  tout de suite, au même moment, il voyait le plateau, et le ciel couché sur tout et loin, là-bas loin à travers les arbres, la respiration bleue des vallées profondes, et loin autour il imaginait le monde rouant comme un paon, avec ses mers, ses rivières, ses fleuves et ses montagnes. Et alors, il s'arrêtait dans sa pensée consolante qui était de se dire : santé, calme, "la Jourdanne", rien ne fait mal, ni à droite, ni à gauche pas de désir. Et le désir est un feu; et santé calme, et tout brûlait dans ce feu, et il ne restait plus que ce feu. Les hommes, au fond, ça n'a pas été fait pour s'engraisser à l'auge, mais ça a été fait pour maigrir dans les chemins, traverser des arbres et des arbres, sans jamais revoir les mêmes, s'en aller dans sa curiosité, connaître.

C'est ça, connaître.

Et des fois il se regardait dans la glace. Il se voyait avec sa barbe rousse, son front taché de son, ses cheveux presque blancs, son gros nez épais et il se disait : "A ton âge ! " 

Mais le désir est le désir. "

 

p13, livre de poche