Nous avons vécu quelques mois au-dessus de chez Léon. 

Une maison comme un pansement. 

Je l’avais aimé tout de suite avec sa façade de saloon. 

Nous étions arrivés un soir, ma mère et moi après plusieurs heures de train sur des sièges en skai marron que des petits néons jaunes éclairaient régulièrement sur tous les rangs, si bien, que je voyais très bien les larmes de ma mère rouler sur ses joues. 

Mon père était venu jusque dans le wagon, nous accompagner, déposer nos deux sacs et la grosse valise de cuir. Peut-être tenait-il à s’assurer de notre départ ? Moi, avec ma frimousse de petite fille interrogative de ce qui se passait là, et ma mère avec sa rancœur ? Sa tristesse ? Sa peur de l'avenir ? Que sais-je de ce qu’elle éprouva dans ces moments où l’on se sent rejetée, bannie d’une vie, pour une plus jeune, une plus fraîche ?

Son ventre était déjà énorme de six mois d’un gros bébé. Elle portait mon frère.

 

J’aime ces lueurs tardives où le jour s’emmêle à la nuit. Le ciel mauve et la façade de nos antres éclairés par la lumière des lampadaires. Et ce soir-là, il me revient le vent, soufflant dans les ruelles, emportant papiers jetés des poches, mégots à moitiés écrasés, poussières du jour et déjà les ombres de la nuit. Beaucoup de mes souvenirs de la petite enfance sont des souvenirs de nuit.

 

Léon avait déjà fermé ses portes et je n’entendrai que le lendemain, le brouhaha du café, ses cliquetis, ces voix enrouées, ses injonctions, ses bruits de vaisselle, de chaises qu’on tirent sur le parquet, celui de la tireuse et de la machine à café.

Ce soir là, seulement le vent et un volet qui grince et qui tape et taperait toute la nuit. Me vient en pensée les vieux western du mardi soir avec ces maisons qui ne semblent être qu’un décor de bois, juste pour immortaliser une rue, une arrivée dans le silence angoissant du vent et d’un drame sur le gril.

 

Nous avons attendu devant chez Léon après avoir toqué. Nous avons entendu les pas traînant et le “qui c’est ?” et le cliquetis dans les deux serrures de la porte du café, l’un en bas et l’autre en haut de la porte. 

Ah ! Vous êtes la petite dame pour la location du d’ssus ? On vous attendait plus tôt ! Et l’énorme Léon s’en va chercher clef de la porte du logement en nous faisant passer par derrière, un escalier de bois menant directement sur la chambre meublée et l’espace cuisine grande comme une boite d’allumette où nous allions tenter de rebâtir notre avenir.

 

Ce soir-là, après avoir rangé une partie de nos sacs dans la petite armoire. Nous avons trempé quelques biscuits dans du lait chaud. et nous nous sommes recroquevillées sous l’énorme édredon dans le seul lit de la pièce. Ma mère et son ventre me tournant le dos. Le bruit du vent et de ses sanglots.

 

Le matin, la mise en place du café me réveilla et puis, Françoise, la femme de Léon est venue toquer à la porte, nous apportant du chocolat, un peu de pain frais et un thermos de café. Ce qui déclencha une avalanche de larmes de la part de ma mère. Génée, je regardais par la fenêtre pendant que Françoise tentait de la consoler. 

Point de chevaux, ni de cowboys de mon point de vue, quelques passants d’un village trop tranquille, des femmes allant faire quelques courses et un ou deux hommes en tenue de travail entrant ou sortant du café.

 

Pendant ces quelques mois, juste avant la naissance de mon frère, nous allions être consolées, chouchoutées par Françoise, Alice, Madeleine, des femmes aimantes, soudées à l’odeur de café et d’eau de violette. Les hommes nous regarderaient de loin. 

 

Malgré le chagrin qui se propageait en-dehors de ma mère et se répandait dans la petite chambre au-dessus du bar, je redeviendrai l’espiègle et rêveuse petite fille en quête d’expériences, d’aventures et d’amour. Première expérience du chagrin qui ne laisserait en moi qu’une légère peur de l’abandon, qu’un voile délicat de brume parfois, s’envolant toujours grâce au chaud et puissant rayon du soleil sur ma peau, éveillant en moi le désir puissant de vivre.

 

VLM

22/12/20

Dessin réalisé et proposé par S. qui a inspiré ce texte