MADELEINES

 

Il lui avait demandé de lui acheter des madeleines. Il ne mangeait que ça au petit déjeuner. Mais pas n’importe lesquelles, des madeleines de la marque C.

 

Elle s’est dit : ça ne va pas être trop dur. Pourtant elle n’avait aucune envie, ce soir, de répondre à ce caprice. Depuis hier, le torchon brûlait.

 

Depuis deux jours elle lui demandait s’il venait. Plusieurs coups de fil, quelques sms. Avait-il décidé quoique ce soit ? Réponses laconiques, toujours les mêmes : je n’ai pas encore décidé. Pourquoi veux-tu toujours savoir à l’avance ?

 

Ils se fréquentaient depuis quelques mois, allant soit chez l’un, soit chez l’autre. Elle se sentait pousser des ailes, elle était de nouveau amoureuse et c’était une espèce de fièvre du corps et de l’esprit qui la portait chaque heure du jour et de la nuit.

 

Lorsqu’il était avec elle, il était drôle, prévenant, doux.

 

Mais il avait ce travers de ne jamais rien vouloir organiser. Pas de contraintes était son leitmotiv.

 

Elle, elle avait besoin d’un cadre, de ne pas avoir à l’attendre, de pouvoir prévoir autre chose. Depuis qu’elle avait quitté son compagnon, quelques années plus tôt, elle planifiait ces week-end avec ses ami(e)s, faisant le tour des expos, des festivals…elle l’attendait et s’il ne venait pas, son week-end devenait un long calvaire de solitude.

 

Elle fulminait au supermarché. Après deux jours de « je ne sais pas, ne me prends pas la tête », il était arrivé hier soir, ivre, la prévenant seulement lorsqu’il fut en bas de son immeuble.

 

 

 

Des madeleines !  Manger des madeleines à son petit déjeuner !

 

Elle pestait contre elle-même, contre son besoin de tendresse, son besoin de remplir le vide en elle. Mais ne vaut-il mieux pas un vide qu’un homme ivre le ventre rempli de madeleines ?

 

 

 

Ce matin, elle pose le paquet de madeleines sur la table. Ils ont finalement passé une belle nuit d’amour. Elle se sent de nouveau prête à tout lui pardonner.

 

-Ah, mais elle est trop mignonne cette petite femme là, mais ce ne sont pas celles-ci !

 

-Mais, si ! Tu m’as demandé des madeleines de la marque C.

 

-Mais non, ma douce, je n’aime que les madeleines rondes et toi, tu as acheté des madeleines longues !

 

 

 

V.Le Milan

Texte parut dans le Fanzine Canne Hard n°2