On peut dire que j’ai de la chance, que je m’en sors bien et c’est dingue de se dire ça pour une paire de basket; ça ne devrait pas; car qui suis-je finalement pour me dire, me décrire, là, avec ma blancheur plus que douteuse, mes airs avachis, mes trous d’usures (qui, d’ailleurs, entre nous soit dit, sont plutôt pratiques pour l’évacuation du trop plein de macération, de sueur et d’humeur de mon propriétaire) ?

 

Je respire, et c’est déjà ça, tout en ayant pour but, pour but ultime de parcourir les rues, les chemins et contrées du matin au soir, de protéger les pieds de mon occupant en épousant cailloux, rebords, aspérités, mottes de terre traîtresses, tout en évitant ce qui peut se dresser face à moi inopinément : coins de meubles, rochers, trous béants pouvant déstabiliser mon occupant, voire, le faire chuter; alors, c’est une présence de tous les instants.

 

Très ingrat ce rôle de chaussures, surtout nous, les baskets, les pas chères, pas les bonnes chaussures de qualité qui dureront dix ans, non, juste là pour un quotidien d’usage où nous serons tirées, usées jusqu’à la corde parce que nous avons affaire, là, à un occupant économe, peu matérialiste, vivant dans son temps et peu regardant de son aspect.

 

On nous enfile le matin, on nous lace, sans y penser vraiment, à la va-vite comme on dit et hop ! C’est partit : escaliers, trottoirs, pédales, on appuie, on frotte, on crisse sur l’asphalte, les graviers, on se tape les marches…mais bon, ça c’est la semaine, le week-end, pas de repos, on a le droit aux chemins empierrés, à l’herbe mouillée, aux bouses de vaches, de chevaux ou aux crottes de chiens, au sable, à la terre et des fois, on finit, le soir, un jour, deux jours, à sécher pendant qu’une autre paire prend le relai (mais on est presque certain qu’elles sont moins aimées, c’est sur, et ça nous rassure). Après ce temps de séchage, on nous gratte dessous, sur les côtés, pour enfin nous mettre dans la machine à laver avec des trucs un peu rudes pour ne pas dégueulasser le linge délicat. 

Et voilà, c'est bon, on est tout propre, réutilisable, jusqu'à ce que...ben oui, faut pas rêver... à un moment...l'usure aura raison de nous, alors on finira dans une déchetterie ( pas la chance d'avoir une autre vie, avec d'autres pieds, nous ne sommes pas assez costaud !).

 

On n'est jamais content de ce que l'on est;  et ce n'est pas rien de l'avouer, que nous aurions souhaité être de belles chaussures faites main, en cuir tout retourné, brillantes, luisantes, chéries par des pieds reconnaissants; des occupants soigneux qui passeraient du temps à nous oindre de cire, à nous masser délicatement pour la faire pénétrer en nous, au profond et lorsqu'ils prendraient le chiffon doux pour la brillance, hummm….ce serait bon.

 

Non, nous, c'est la machine à tambour et lorsque nos trous, nos béances atteindront le point culminant, nous rejoindrons le tas de consommables lents à la décomposition, difficilement recyclable. Presque,  on aurait aimé être en plastique, pour pouvoir se réincarner en pull.

 

Nouveau : Pour ceux qui ne voient pas très bien, pour ceux qui ont un peu la flemme de lire, je vous l'ai enregistré !