peinture: Maxime Frairot

 

 

Les images s’effilochent en lambeaux

 

tu tentes de les retenir

 

de les fixer

 

mais déjà les fixer c’est se réveiller

 

non

 

pas déjà

 

tu le sens

 

tout se tient

 

la pensée le rêve

 

tu passes de l’un à l’autre sans interruption et tu sais que tu ne dors plus seulement avant même que tu n’ouvres les yeux

 

lutte

 

car tu sais qu’il est encore tôt

 

très tôt genre tôt que certains se couchent juste à cette heure

 

tu le perçois car les oiseaux ne chantent pas

 

 

 

tu te dis n’ouvre pas les yeux surtout ne les ouvre pas

 

ça tuerai le peu d’espoir de sommeil qui existerait encore

 

les quelques grains de sable

 

dans le sac

 

de ce sacré marchand

 

qui passe

 

pour distribuer à la volée comme le semeur

 

avec sa grande capuche et ses longs doigts effilés et quand il rentre dans ta chambre il se dit

 

encore une pré-ménopause et il referme la porte sans jamais te lancer de sable

 

pour faire des économies

 

pas de sable pour toi

 

des rêves

 

des putains de rêves

 

des bacs à rêves

 

que tu soulèves à la pelle

 

toutes les nuits

 

 

 

tient

 

cette fois-ci

 

la housse de couette qui s’envole au-dessus d’un balcon de HLM où tu es assise en plein soleil et ouf  tu ne lâches pas l’ordi avec

 

tu vois la housse planer comme un tapis volant et disparaître en bas dans les ruelles genre ruelles de médinas où tu te retrouves à chercher cette fichu housse et y’a un tas de SDF qui dorment enroulés dans des duvets que tu enjambes

 

tu la retrouves enfin et repars avec

 

tu croises de nouveau un corps sur lequel tu trébuches et il se met à vomir

 

tu te sauves

 

 

 

il n’est que deux heures

 

t’as craqué

 

t’as regardé ton portable

 

alors là s’opère un étrange calcul

 

est ce que c’est mieux

 

ou pas que voyons

 

quatre heures par exemple

 

quatre heures

 

tu sais que c’est mort

 

que tu ne redormiras pas

 

alors que deux heures

 

 

 

 

 

tu penses

 

 

 

ça

 

penser

 

tu sais faire

 

 

 

tu n’écris pas tout ce qui te vient à l’esprit

 

les grands dilemmes de ta vie les questionnements

 

dans la nuit tout gonfle et devient difforme

 

la moindre peccadille se transforme en bubble gum et splash devient une bombe une alerte attentat et tu ouvres la lumière plutôt que de rester dans le noir à te tenir pliée les mains sur le ventre prête à crier

 

 

 

tu ouvres la lumière

 

et tu choisis selon

 

lire 

 

écrire 

 

ou bien plus facile

 

la petite série du moment

 

complètement idiote mais salutaire

 

pendant quarante minutes

 

tu oublies

 

pendant quarante minutes

 

tu t’oublies

 

tes yeux comme des soucoupes

 

se refermeront peut-être ensuite

 

 

 

c’est un stratagème

 

choisit dans toute la liste des stratagèmes

 

tu pourrais écrire tout un livre sur les milles et une manières de passer une nuit d’insomnie

 

les milles et un conseils des bons amis

 

les

 

tu sais y’a pas qu’toi nous aussi c’est l’âge voilà tout

 

 

 

ça t’fait de belles jambes

 

 

 

t’a envie de leur répondre

 

et bien retrouvons nous

 

passons ce doux moment ensemble

 

puisque nous sommes légion

 

faisons une petite fête toute les nuits

 

des cinquantenaires aux grabataires

 

enivrons nous

 

oublions tout

 

faisons des orgies

 

de contes et de rêves enfouis

 

 

 

mais tu ne dis rien

 

tu essaies tout

 

les conseils

 

les uns après les autres

 

pour voir si ça marche

 

 

 

au petit matin parfois tu te rendors

 

mais rien de doux

 

c’est un sommeil qui rêve encore

 

tellement

 

que tu ne sais si tu dors vraiment

 

tu te poses même la question en dormant

 

est ce que je dors ?

 

 

 

ça s’appelle un sommeil éveillé

 

c’est pas réparateur ce genre de sommeil

 

ça ne répare rien

 

 

 

allons

 

c’est l’heure

 

les oiseaux chantent depuis longtemps déjà

 

le soleil brille et danse

 

ton corps est lourd

 

d’une lourdeur tenaille

 

mais dans ta tête tout rapetisse

 

le difforme reprends sa taille normale

 

 

 

les pieds à plat sur le froid du carrelage de la cuisine

 

le café coule

 

le chat miaule

 

dans la glace de la salle de bain tu regardes si ce que tu vois ne ressemble pas à un tableau de Maxime Frairot

 

tu étires les bras au-dessus de ta tête

 

tes reins

 

tous les muscles du dos

 

tu t’appuies sur les orteils

 

tu te hisses vers le ciel

 

la nuque craque et tu sais que jusqu’au soir tu auras cette épée plantée en haut de ton dos qui parfois te donne un air courbé

 

mais

 

personne

 

aucun roi pour te l’enlever

 

elle restera plantée

 

mais là

 

c’est une autre histoire

 

l’histoire d’un jour qui se lève

 

l’histoire d’une journée

 

 

 

VLM 2019