Tu es plus belle que le ciel et la mer
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime
Blaise Cendrars, Feuilles de route, 1924
Deux femmes
/1
En roulant sur
une autoroute à Tokyo
j'ai vu un visage de femme
qui nous était renvoyé
par un petit rétroviseur circulaire
côté passager
de la voiture devant nous.
La voiture avait un rétroviseur
normal au centre
du pare-brise avant.
Je me suis demandé ce que
faisait le rétroviseur circulaire
du côté passager de la voiture.
Son visage était dedans. Elle était juste
devant nous. Elle avait un
visage superbe, qui flottait dans un
miroir irréel à Tokyo sur une
autoroute.
Son visage est resté là un moment
puis s'est envolé à jamais
dans la circulation changeante.
/2
Elle se déplace comme un fantôme.
Elle n'est plus en vie.
Elle doit avoir pas loin de soixante-dix ans.
Elle est petite et trapue
comme un stéréotype japonais.
Elle s'occupe du couloir
de l'hôtel. Elle vide
les cendriers. Elle fait la poussière
et nettoie les choses. Elle se déplace
comme un fantôme. Elle n'a pas d'expression
humaine
Il y a quelques jours j'étais debout
à côté de trois hommes d'affaire japonais.
On faisait pipi aux toilettes.
Chacun avait son propre urinoir.
Elle est entrée comme un fantôme et a commencé
à nettoyer par terre autour de nous.
Elle nous a totalement ignorés,
nous debout en train d'uriner.
C'était vraiment un fantôme
et soudain on a été des fantômes faisant pipi
tandis qu'elle nettoyait
à côté
Tokyo
21 juin 1976
En voiture sur l’autoroute
entre Tokyo et Osaka
Je regarde par la vitre
à 100 kilomètres à l’heure
(62 miles)
et j’aperçois entre les rizières
un homme à bicyclette, qui roule
avec d’infinies précautions sur un
étroit sentier.
En quelques secondes, le voilà disparu.
Il ne reste plus que son souvenir, maintenant.
Il vient d’être transformé
en impression à l’encre
d’un souvenir à 100 kilomètres à l’heure.
Extrait de Journal japonais, Richard Brautigan, L’incertain 1992, pour la traduction française.
Enfin nos corps coïncident
Je parie que tu pensais que
ça n’arriverait jamais.
Moi non plus.
Voilà une agréable surprise
Me voilà assis dans un café
en train de boire un Coca.
Une mouche s’est endormie
sur la serviette en papier.
Il faut que je la réveille
pour essuyer mes lunettes.
Il y a une jolie fille
que j’ai envie de regarder.
.
.
Qu’est-ce que c’est agréable
de pouvoir se lever le matin
tout seul
et de ne pas avoir à dire aux gens
que vous les aimez
quand vous ne les aimez plus.
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