DERRIERE LA LOUPE

Il se penche. Courbe, sur le chemin de vert tendre. Il se penche jusqu’à. Il ne cueille pas la vie tendue vers lui, il approche. Il approche le verre tout contre. Ça l’oblige à plier jusqu’à terre son grand corps las. De se mettre à genoux comme en prière.

 

Il approche le verre tout contre. Il vise. Il ajuste et découvre.

 

Il se dit que le mec qui a imaginé le monde d’Avatar avait dû regarder tout d’abord une fleur à la loupe. Et, pense-t-il, il était encore bien loin du compte.

 

Il aimerait se fondre là, faire partie de ce monde petit, circuler entre ces longs poils blancs de fleurs et de cocons. Traverser pieds nus sur les feuilles velours, s’enrouler dans les pétales fragiles et solides tout à la fois. Etre caressé par une étamine. Se retrouver, tel un bébé au fond d’un utérus. Ne plus bouger.

 

Il reste suspendu sur ce fil de vie en plein. Il reste figé là de peur que le monde derrière ne revienne à la charge. Le monde du manque de tout, de sommeil, de douceur. Celui où on se perd devant des écrans devenus vide

                                 de toi

                                      de sens

                                   LA GUERRE

                                       en lui

                                  et tout autour.

 

Derrière la loupe, le globe de l’œil en manque d’eau.

L’eau est au profond. Au fond du puit. Il ne sait comment la faire remonter.

Elle ne fait qu’effleurer entre les cils. Elle ne sait plus déborder, lâcher les amarres, comme si dans la machinerie du corps, quelque chose de cassé brinqueballe et ne sert plus.

À sec. Le désert du cœur remonte à la surface. Extinction des larmes.

 

Il se recentre sur l’ortie blanche. Rien ne pique. Tout est douceur. L’œil retrouve la beauté, essaie d’irriguer ce qu’il voit jusqu’en son intérieur afin que le cœur batte en mesure toc toc régulier et qu’il impulse à tout le corps recroquevillé un peu de pollen.

 

Il tente de se redresser maintenant, reprendre sans chanceler le reste du chemin à parcourir sans plus mendier un regard, une attention, un message, un peu d’amour tout de même, nom de Dieu ! Comment se sentir bien, seul, droit, pour se rendre là où

                                                                           il doit se rendre, au fond.

 

Il range sa loupe au fond de sa poche et lève la tête. La nuque plie, craque. Une goutte ou deux tombent sur ses joues. Il ouvre la bouche en grand comme pour crier, mais il ne fait qu’happer l’eau qui tombe du ciel, rien que de l’eau, de l’eau de pluie, de l’eau de là-haut.

                                                                          

                                                                                     VLM, mai 2019

 

en italique, référence à la chanson de Véronique Sanson « Rien que de l’eau »