les textes narratifs

De petits textes qui sont comme des gouttes dans l'océan. Ils sont nécessaires pour dire ce qui traverse, pour travailler l'écriture, la langue.

Textes écrits en ateliers d'écriture, dans une insomnie ou un après midi pluvieux, ce sont des moments de vie à croquer entre deux portes.

Dormir avec les bêtes sauvages

hommage à John Irving, clin d’œil à Thian

Il me lèche le visage. Son haleine est celle d’un mélange d’œuf, de poisson pourri et d’herbes macérées dans de l’huile de foie de morue...ses poils rêches me chatouillent le visage et c’est son odeur fauve qui d’abord me réveille. Ensuite, quand le lit à baldaquin semble devenu un navire en pleine tempête et que ses pattes avant se posent d’un côté de l’autre de ma tête sur l’oreiller, ma tête ballote un moment. Il me pourlèche le visage avec des grognements de contentement. Je suis obligé de rester les yeux clos de peur qu’il ne réagisse violemment à mon réveil. Il s’est enfuit du zoo, hier matin, tout Vienne est à ses trousses. Et c’est moi qui a quatre heure du matin va lui servir de petit-déjeuner. Je pense à ma cousine Mary avec laquelle je n’ai pas forniqué hier soir et j’en ai un regret incommensurable. 

Je prie Dieu et ses anges de ne pas mourir là, cette nuit sans avoir connu l’acte de chair. Quel regret, mon Dieu ! faîtes quelque chose ! je vous promets de ne plus mettre de gratte cul dans les culottes des femmes de chambre, de ne plus me masturber au fond du bus en regardant la nuque de Gladys. 

Comment a-t-il pu passer la porte tambour de l’hôtel New-Hampshire ? Je savais bien que Fred, le vieux factotum de l’hôtel devait ronfler devant son écran de contrôle...mais comment un ours pouvait-il pénétrer par une porte tambour sans faire un raffut du diable ? Et pourquoi cet ours de près de 200 kg avait-il eu l’idée de monter jusqu’au 2eme étage et de choisir d’ouvrir d’un coup de museau la 26eme chambre de cet hôtel qui en dénombrait près d’une cinquantaine ? (Parce que ma porte était restée entrouverte, laissant la possibilité à Mary de me rejoindre si une envie subite lui 

venait de voir si son cousin en avait une plus grosse que Kenneth, son amoureux de Pennsylvanie //pouah, pouah ! Kenneth ! Je te hais ! //) 

Comment pouvais-je me trouver dans une telle situation alors que j’étais à l’aube de ma vie ? 

La police, les gardiens du zoo, les associations de protection des animaux, de simples citoyens en manque d’action, tous, à travers rues et ruelles sondaient les porches, secouaient les bosquets, ratissaient les parcs, secouaient les poubelles, brassaient les ordures des déchetteries, les uns avec des fusils à pompes, d’autres hypodermiques, quelques-uns à cheval, d’autres en voitures blindées. L’armée se préparait à intervenir et moi, qui ne demandais à la vie que d’assouvir mes besoins d’adolescent, je me retrouvais là, la tête au milieu des deux pattes énormes d’un ours en goguette, ivre de sa propre liberté, ayant certainement une faim de loup et n’ayant pas encore vu en moi un éventuel sandwich empli de sang frais, mais cela n’allait sûrement pas tarder. 

Il s’attaquait maintenant à l’une de mes mains, repoussant chaque doigt d’un coup de langue énergique et je pensais à mes petites phalanges qui ne seraient plus que des petits nonosses broyés dans ses mâchoires puissantes...la porte s’ouvrit et ma mère entra...mon cœur s’arrêta de battre un instant... 

- Mais Patos ! que fais-tu sur le lit de John ? Ce n’est pas possible, ce chien va me rendre folle ! Mr Cole le laisse vagabonder dans tout l’hôtel, ce n’est plus tenable ! 

J’ouvris les yeux et effectivement, au-dessus de moi, la langue pendante, un entrefilet de bave retombant sur ma veste de pyjama, ne se tenait pas l’ours échappé du zoo, mais seulement le stupide chien de Mr Cole, le voisin de notre suite. Je fus pris d’une fureur contre moi-même avant tout. Je me sentais si stupide que je repoussais le chien violemment. Celui-ci laissa échapper un petit couinement de déception et me regarda la tête penchée avec des yeux implorants. Je lui lançais le livre de Melville qui ne quittait jamais ma table de chevet, ainsi que la bible présente dans toutes les chambres d’hôtel. Ce coup-là, il bondit et se sauva en bousculant maman. 

- John Irrving, il serait bien temps de se lever. Ta cousine Mary et tes sœurs t’attendent depuis plus d’une heure pour aller au parc. 

Je m’essuyais la figure d’un revers de manche. 

- Ah oui, mais je croyais que les parcs étaient fermés à cause de la chasse à l’ours ? 

- Oh, mais, John, tu n’es pas au courant ? Ils l’ont attrapé hier soir au cimetière central. Figure-toi qu’il était entré dans le mausolée de Beethoven, il s’était endormi sur sa tombe.