Mon père...
Elle tremble. Il la sent trembler.
Vous avez recommencé ? lui dit-il doucement.
…
Dites moi…
Oui...pourquoi est-ce un péché, mon père ?
Il va lui dire. Il va lui dire toutes ces balivernes auxquelles il ne croit plus.
Depuis deux ans qu’il reçoit cette femme en confession, il est troublé profondément. Il est plongé dans un grand désarroi. Sa foi reste inchangée mais sa vocation, la morale chrétienne et
catholique qu’il se doit de rabâcher à ses ouailles, lui paraît tronquée d’humanité.
Voulez-vous que je vous le répète encore une fois ?
Oui…
….
….
...Je ne peux pas…
Que se passe t’il mon père ?
JE NE PEUX PAS ! Il tape sa tête contre le panneau de bois du confessionnal, se lève abruptement et sort, sort de la basilique, passe dans les petites ruelles, frôle les murs pour sortir de la
ville par les petits chemins de terre...de l’air !
Béatrice reste pétrifiée, à genoux.
Régulièrement elle vient s’agenouiller ici, dire ce qu’elle ne peut dire à personne d’autre.
Elle ne vient pas se confesser, non. Puisqu’elle revient semaine après semaine, dire, tout le plaisir qu’elle a découvert, tout ce que son corps lui offre, tout ce que le corps des autres lui
donnent, la sensualité qu’est devenue sa vie, depuis qu’elle a passé les portes, un soir, de ce château.
Elle a bien senti que le prêtre devenait moins véhément dans ses propos au fil du temps, qu’il lui donnait la possibilité de guérir grâce aux pater, grâce aux avé, du bout des lèvres.
Elle n’en avait aucun besoin. Elle ne se sentait pas fautive du plaisir de ses sens, mais elle avait juste besoin de se confier discrètement, de pouvoir exprimer sa joie.
Quel drôle d’endroit que le confessionnal ! Oui, mais ce prêtre était tenu de ne rien dire, seul à Dieu ! Elle prenait bien un ton attristé, penaud, embarrassé, désemparé, pour donner le change,
mais était-elle bonne comédienne ? Est-ce que parfois, lorsqu’elle laissait fuir quelques détails (elle ne pouvait s’en empêcher), de la joie ne perçait-elle pas entre deux sanglots ?
Joie d’être prise encore et encore. Extase d’être caressée millimètre par millimètre, avec une plume, avec des langues, avec des bouches.
Le premier soir, elle ne se doutait pas de ce qui l’attendait derrière la porte imposante de ce château. Une réunion entre amis, une envie de se réunir là, avec des personnes intelligentes,
savantes, pour connaître les dernières avancées de la science, les bruits lointains d’une guerre qui arrivait à grand pas.
Oui, tout cela se passait tout à fait normalement, au début, au boudoir, autour du repas, tous ces hôtes si charmants...et puis, alors que certains avaient pris congés, on lui demanda
expressément de rester, pour une surprise…
Ils s’étaient tous rendus dans une vaste pièce, faite de divans, de tapis, de fourrures, de bougeoirs effleurant les murs d’une lueur douce, de bâtons d'encens répartis aux quatre coins de la
pièce, du feu de cheminée brûlant d’un feu intense. Tout était mis en œuvre pour un instant de plaisir et de joie.
Elle se sentit bien, et s’installa sur un des divans. On lui offrit à boire, puis on fit passer une longue cigarette au parfum âcre et brûlant.
Les murs et les flammes se mirent à danser et cette femme se pencha sur elle pour lui prendre la bouche d’un long, long et très tendre baiser. Elle aurait pu rester à vivre ce baiser
indéfiniment, mais vinrent d’autres bouches, d’autres mains et tous lui firent découvrir toutes les parcelles de son corps par de multiples façons qu’elle n’aurait jamais pu imaginer seule. Ils
la tournèrent comme une bête sur une broche, lui donnèrent de leur propre peau, de leur propres goût, de leurs aisselles, de leurs sexes, de leur sueur, de leur salive. Elle fermait les yeux et
tout son être dansait, elle les rouvrait et de voir tous ces corps emmêlés, heureux, se donnant pour rendre ce qui leur était offert.
A aucun moment elle ne se sentit piégée, salie. Elle ne pensa pas au péché, ni aux flammes de l’enfer. Elle revint chez elle, fourbue, heureuse et attendit ardemment la prochaine soirée.
Mais ce n’est pas à ses proches, ni à ses amies qu’elle pouvait confier le ravissement de ces trop peu nombreuses soirées, les temps n'étaient pas propices. On se gavait de bonne morale, de vies
rythmées par les naissances, les baptêmes, les mariages et la mort. On taisait la médiocrité, les humeurs méchantes, les désirs refoulés…
Un jour, ce fut au prêtre de sa paroisse qu’elle se mit à raconter.
Après le premier récit, il y eut un grand silence. Puis le père, d’une voix qui se voulut ferme, lui demanda d’expier ses péchés par une neuvaine adressée à la vierge miséricordieuse. Elle promit
et s’en retourna, soulagée. Elle revint, trois, quatre, cinq fois.
Le prêtre, un jour, agacé, lui demanda:
Mais vous y retournez ?? Est-ce que cela a un sens de venir vous confesser ?
Elle finit par lui dire qu’elle n’avait aucune honte à tout cela. Que sa chair lui appartenait, qu’elle ne pensait pas qu’un Dieu, quel qu’il soit, trouve abject ce qui était beau, doux et, lui
semblait-il, si naturel. Dieu se mettait-il en colère contre la fleur qui s’entrouvrait ? Contre l’insecte qui la butinait ? Dieu n’avait-il pas créé nos corps et l’ivresse du plaisir ?
Le père marchait d’un pas rapide, trop rapide pour ne pas éveiller les soupçons des âmes brivadoises le regardant passer au travers des rideaux des fenêtres.
Le feu l’avait pris, il se consumait de l’intérieur.
Dieu lui demandait-il encore l’abstinence ?
VLM
14/02/21
un peu d’humour:
https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158830775123398&id=721703397
Petite histoire écrite avec PLAISIR pour A. Sur un fait établi que, pendant la guerre (39/45), il y eut des fêtes particulières données au château de Paulhac (près de Brioude). Paraît que c’est
écrit dans “le têtard”, roman de Jacques Lanzmann, qu’il va falloir me procurer. Faits rapportés par mon ami, Thian.
https://www.babelio.com/livres/Lanzmann-Le-Tetard/38483
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