Elsa et Fix, un couple entrevu à la sortie d'une gare. Lui, remarque la femme. Elle le mari. Ils en parlent, ils en rient. Vient l'idée d'étirer l'histoire de ces 2 personnages. Chacun écrivant l'un après l'autre, tentant de garder leur singularité d'écriture, d'être à l'écoute de l'autre et de creuser chacun son sillon tout en l'entrelaçant. Vaste programme en cours...Ici, les passages sur François Xavier, dit Fix.
Il s’est assis après avoir déposé son plateau prudemment. Il déplie maintenant sa serviette de papier blanc et la coince au niveau du col de sa chemise verte, au dessus de la cravate turquoise. Malheureusement, la serviette ne descend pas jusqu’à la table et une partie de son ventre est à découvert. Il n’ose pas en mettre une deuxième pour cacher ce qui manque. Il essaiera de faire attention.
Son plateau est bien garni. Il profite de l’absence d’Elsa pour savourer le croissant pur beurre, de suite. Il ferme les yeux: Mon Dieu ce que c’est bon !
Quand il lève les yeux, il se rend compte que tous les regards des quelques clients déjeunant en même temps que lui, convergent juste au-dessus de sa tête. Tout à son recueillement et, on peut le dire, à sa précipitation, il n’a pas fait attention qu’il s’asseyait en dessous de l’écran de télévision devenu incontournable dans tous les hôtels et prodiguant dès le matin, un bruit en sourdine et un défilé d’images, de la météo, aux infos régionales, des faits divers, aux catastrophes climatiques, entrecoupés de publicités et de la fameuse recette de cuisine pour une ménagère pressée et décomplexée.
Il en profiterait bien pour scruter leurs visages happés par l’écran, sans crainte de voyeurisme, mais il a une mission : Finir les trois tartines beurrées, confiturées, la part de gâteau au chocolat, le jus d’orange et le café avant qu’Elsa ne descende avec le déroulé du programme intense de la journée.
L’EXPOSITION se mettre à poil devant tout le monde EXPOSITION étaler ses bijoux de famille ses intestins ses tripes et on en a vu des tripes dans toutes ces salles d’EXPOSITION comme sur les plages où la chair s’étale en EXPOSITION horizontale on a envie de leur dire mais allez-vous cacher bande d'EXPOSÉS parce que trop c’est trop d'EXPOSITION trop de beauté tue la beauté d’une EXPOSITION permanente on passe à côté on ne voit plus rien trop habitué alors que juste une cheville et notre désir s’éveille de vous effeuiller petit à petit pour enfin une EXPOSITION toute entière à notre regard privilège unique pas dans une salle à la vue de tous EXPOSITION juste pour nous seul EXPOSITION et je ne vous parle même pas de l’inauguration d’EXPOSITION avec tout le gratin le champagne les petits fours les faux semblant les extases les points de suspensions au bout des phrases…à l’EXPOSITION on mouille sa culotte tellement…mais pour qui pourquoi pour l’EXPOSITION ?
Il a passé les portes, il a tourné autour, passé devant, comme d’habitude en remontant ses lunettes sur son nez lorsqu’elles glissaient, s’est approché d’une œuvre, au plus près, s’est éloigné, puis il s’est assis.
Il a beaucoup aimé les œuvres de Dali, la folie de Dali lorsqu’il était adolescent, peut-être parce que ça faisait genre. Il ne sait pas très bien pourquoi en fait. Peut-être que, comme la littérature, il voulait quelque chose qui le sorte du cadre, de l’ennui palpable de cette France qui n’en finissait plus de se remettre de la guerre mondiale, la France de De Gaulle, de la France, béret/ baguette. Il rêvait des Etats-Unis, de grands espaces, de liberté, de pied de nez. Il n’avait pas vécu mai 68 et regrettait que tous ces foutus beatniks se soient rangés dans la zone confort de leurs lofts.
Quand Elsa est entré dans sa vie, elle lui a apporté ce souffle, ce possible. Il était un jeune homme brillant, mais déjà timide. Il était un amant prévenant, mais entreprenant seulement dans ses rêves les plus fous, peu dans le réel. Ses rêves et ses désirs ne correspondaient absolument pas avec son corps physique et ses actions. Il aspirait et détruisait toutes ses aspirations avant qu’elles ne sortent de leur enveloppe.
Il a sûrement donné à Elsa de fausses illusions…
C’est ce à quoi il réfléchit devant la sculpture de ce jeune artiste trentenaire et il se sent minable.
La plupart du temps il se cache derrière une nonchalance affectée, une indolence, mais cette œuvre-là, l’a bouleversé. Il s’est assis, comme vidé de toute énergie, et sans bruit, il pleure.
Elsa l’a devancé. Elsa le devance toujours. D’un pas alerte elle est allée voir si le taxi était là. Lui, traîne la valise à roulettes rouge sur le quai de la gare. De la même couleur que sa cravate, assortie à sa chemise rose. Il sort au milieu d’une nuée de scouts. Des scouts Unitaires. Ils portent le costume très classique, beige et le chapeau colonial, ainsi que des chaussettes hautes jusqu’aux genoux. D’un côté les garçons, de l’autre les filles. Fix se gratte la tête. Il cherche Elsa du regard au milieu de cette nuée beige aux dents saines et blanches. Et bien entendu, il pense à son père qui a tenté de le placer chez les scouts. Il a déçu ses parents, c’est sûr. Toujours malade et surtout terrorisé par ses congénères. Sa mère prenait sa défense. Elle a toujours pris sa défense. Son père lui reprochait “Ton petit CHOUCHOU François-Xavier ! Il ne deviendra jamais un HOMME si tu le dorlotes ainsi !”.
Il est mal à l’aise entouré de ces fichus scouts, où donc est Elsa ? Il l’a voit enfin, dans sa courte robe blanche, avec son petit chapeau crème, elle est belle, il l’admire. Elle lui fait signe, impatiente, debout devant un long taxi noir. Le chauffeur se précipite, mais Elsa a déjà ouvert le coffre. Fix arrive avec la valise et la pose avec l’aide du chauffeur dans le coffre. Elsa se précipite à l’avant de la voiture et prend place de manière déterminée. Fix soupire et se pose à l’arrière. Il n’a qu’une envie, se retrouver à la maison et manger quelque chose. N’importe quoi, mais manger
MAMAN EST UNE FEMME FORTE. Il l’a connu toujours debout, un roc. Il se rappelle de son regard d’elle, plus jeune, alors que le taxi s’arrête devant le 3 rue du Berger. Son regard d’elle plus jeune, emplit de tendresse ou d’inquiétude lorsqu’elle regardait ses fils. Elle disait, il se souvient, MES FILS, aux voisines, à la paroisse, au salon de coiffure, à la boulangerie. Protectrice, surtout envers son père tyrannique, absent, le plus souvent, absent, mais toujours cette présence pesante. Sa mère. Épouse, pour le meilleur et pour le pire
MAMAN EST UNE FEMME FORTE, se dit-il en pénétrant dans la maison fraîche aux senteurs de l’enfance et un peu de vieille femme seule. Il dépose les valises pendant qu’Elsa paie le taxi. Pierre-Marie a laissé un mot sur la table - Je suis à l’hôpital, installez-vous, prenez votre temps, ils l’ont stabilisée - PIM.
MAMAN EST UNE FEMME FORTE. Il porte les valises jusqu’à la chambre d’amis, puis se réfugie dans la cuisine. Son antre. Pas de lave-vaisselle, rien de plus que du pratique, pas de beaux meubles, du formica, du net, du propre. Seule touche originale, la nappe en plastique bleue sertie de tournesols, sa nappe Van Gogh, comme elle disait. Il ouvre les placards, sort la boîte à gâteau, ouvre le frigo, prend le beurre, ouvre la panière, sort le pain d’une livre, prend le couteau à pain, se coupe une tranche, la tartine de beurre, trouve un vieux morceau de chocolat au fond du placard et le croque. Il entend Elsa s’activer dans la chambre. MAMAN EST UNE FEMME FORTE. Il croque dans la tartine et dans cette cuisine il est au centre de son monde, le sien, celui de sa mère. C’est là qu’elle se tenait, toujours. Là qu’il faisait ses devoirs, qu’il dessinait, lisait, si ce n’est dans sa chambre quand le père trop présent. Le père c’était le salon. Le fauteuil du père, sa télé (On l’a regardait très peu en famille, ou du bout du canapé), le whisky du père, dans ces verres crénelés... Elsa l’appelle. Elsa...Il se lève. Mange juste un sablé au-dessus de la table - Hummm que c’est bon !
Il ramasse les miettes avec sa main, range, le pain, le beurre, la boîte à gâteau. Fiiixxx !!! Il boit un verre d’eau au robinet, secoue sa cravate de quelques miettes.
Elsa a ouvert les valises sur le lit. Je vais prendre une douche. Tu devrais aussi...Elle a enlevé son chapeau, ses chaussures. Elle entre dans la salle de bain. Fix s’assoit, commence par dénouer ses lacets - MAMAN EST UNE FEMME FORTE - Il ôte sa veste, la pose sur le dossier d’un des fauteuils, déboutonne sa chemise. En caleçon, il se rend à la salle de bain. La buée n’a pas encore gagné le miroir,Elsa…Elsa est un cadeau. Il tend le bras et lui caresse le bras, s’approche plus près. Elle le regarde, surprise. Elsa est sa déesse. Il ne maintient pas son regard, il plonge dans son cou. Il hume l’odeur du savon, il lèche les quelques gouttes encore sur sa peau. Fix…ce n’est pas le moment…sans Elsa, il serait devenu fou, sûrement. Il descend à la naissance de la poitrine. Fix…Elsa tient fermement sa serviette autour. Elsa l’a sorti de cette maison, de l’étau familial. De ses bras, elle lui a ouvert le monde…Elsa…Il passe une main sous la serviette, trouve le creux de la hanche remonte vers un sein, en caresse le galbe, le prend en creux, en effleure le bout lentement de son pouce. Il entend son souffle. Il a envie de la faire gémir, de lui donner tout ce qu’elle aime. Son autre main se pose sur son sexe. D’un mouvement brusque elle serre les jambes. FIX ! Ça suffit maintenant…!
Il recule. Ne comprends pas. Puis si. Ce n’est pas le moment, puisque sa mère se meurt à l’hôpital. Il a honte. Elsa n’a pas l’air en colère mais elle profite de ce moment de recul pour sortir de la salle de bain. Dépêche-toi, ils nous attendent. Et elle ferme la porte. Il se regarde de nouveau dans la glace. Il transpire un peu. Qu’est ce qui te prend ? Espèce de cinglé ! Il plonge sous le meuble de la salle de bain, tâtonne et la trouve. Elle est toujours là. Il sort la boîte d’Haribo, l’ouvre, en prend deux à la fois. Ils sont un peu dur, doivent être un peu vieux, tant pis. Il mâche. il se regarde, enlève ses lunettes. Il entend Elsa se savonner, frotter. Il voit son reflet - MAMAN EST UNE FEMME FORTE - Il se sent vieux. Il n’a plus vingt ans, ni trente, plus quarante et il a sauté le pas des cinquante. Ses muscles et sa peau se relâchent, elle se fripe par endroit. Le corps a été maltraité par manque d’attention et le temps fait le reste. Il ne retrouve en rien, dans ce miroir, le petit garçon malingre et pleurnichard, ni l’ado avec ce corps devenu trop vaste, trop visible, ce corps emprunté à quelqu’un qui n’est pas lui. Il voit le bras d’Elsa sortir de la cabine de douche. Le bruit de l’eau s’est tu. Elle prend la grande serviette et s’en enroule avant de sortir. En prend une plus petite pour se sécher les cheveux. Elsa est encore belle. Dans le miroir, il entraperçoit le début de sa poitrine, les petites taches de rousseur qui parsèment toute sa peau...Il a envie de la respirer. Son sexe se gonfle. Sans le regarder, elle lui dit: Tu t’inquiètes pour ta mère ? Tout en se penchant pour s’essuyer les pieds.
Elsa, souviens toi , Paris, la canicule de 76, toi, belle, postée à l'angle de la rue Vaugirard et du Boulevard Pasteur, station de métro, heure de pointe, des tracts à la main, l'égalité des salaires, tu m'as pris à partie, à peine sortant tout provincial du métro de mon Auvergne profonde, étourdi, et toi, belle, parisienne, incroyable Elsa, t'occupant de femmes battues, le soir à Clichy après tes heures étudiantes. Tu détournais des boîtes de pilules contraceptives que tu redonnais aux jeunes filles sans le sou. Une battante. Qui étais-je moi, pour te séduire ? tout petit homme, peur au ventre, à peine sorti des jupons de sa mère...sans doute ce qui t'a séduite, mon manque d'assurance, de pugnacité. j'avais tué le père, ne voulait aucune ressemblance avec cet homme écrasant, suffisant, suffocant, colérique.
L'été 76 a été chaud d'autant plus suspendu à tes lèvres, découvrant ton corps et les gestes que tu voulais me voir faire.
Je t'ai déçu...tu t'échappes, tu te noies dans les tableaux, dans les yeux d'artistes argentins, espagnols, que sais-je ? Plus dans les miens.
Et je reste comme un con, au bord d'un lit d'hôtel, sur le quai d'une gare, dans le coin d'une galerie. Je tends parfois la main vers toi et elle reste suspendue dans le vide.
Maman dort et je pense à sa vie de femme. Je regarde l'infirmière prendre son poul avec des gestes délicats. Elle note tout en chuchotant elle va mieux, elle se repose. Quelle est sa vie de femme à elle aussi lorsqu'elle rentre au petit matin après sa nuit de travail ?
Je m'assois dans le fauteuil près de maman. Elsa est partie chercher le médecin qui s'est occupé de maman pour avoir enfin un peu d'informations, c'est la moindre des choses semble t'il ! Mon corps s'engourdit lentement. Mes yeux se ferment. Nous dormons maman et moi.
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