Je crois que je suis beau. 

Enfin, je l'imagine… 

Je les ai vus, il y a longtemps, tous, ceux qui me ressemblaient. Nous étions agglutinés, serrés, tous pareils, bringuebalés, attendant je ne sais quoi. 

Nous attendions la main généreuse qui allait nous libérer. 

Elle m'a choisi, un jour, après de nombreux jours, de nombreux jours où elle m'avait préféré mes semblables. 

Pas de jalousie, c'était de bonne guerre, c'était notre lot. Aucun de nous ne pouvant se distinguer des autres. 

Mais un jour, ce fut moi. 

Elle m'a pris, m'a mis mis dans sa poche, moi, l'élu. puis, le soir, elle me déposa dans un lieu sans lumière. 

Là, l'angoisse. 

Seul. 

Le noir total, l'abandon. 

Les jours et les nuits ? Aucune notion. 

A quoi bon être ? Qui étais-je moi, pour espérer autre chose que de vivre dans l'oubli ? N'étais-je pas un petit rien du tout dans ce monde si plein de choses miraculeuses ? 

Le temps n'existait plus. Je pensais être mort. 

Un soir, elle m'a sorti de mon tombeau et m'a exposé à une tendre lumière, une flamme, d'où elle me scruta. 

Elle déclara : 

- Je ne te ferai pas de mal. 

Je frémis. 

Elle me déposa sur un grain de beauté, puis me fit suivre des lignes imaginaires, de grains en grains. 

Je sentis tressaillir sous ma pointe, chair et chaleur. J'entendis geindre, râler, soupirer. Puis elle me laissa allongé là, à l'air libre. 

Au lever du jour, il me prit et de trois coups secs, m'enfonça dans le tendre et la profondeur. 

Depuis, je suis là. Je n'ai pas bougé, à peine frémi. 

J'ai supporté des portraits, des couronnes de fleurs, de papiers, des miroirs, des années… 

Depuis quelque temps, rien, plus de bruits, après des années scandées par les cris d'enfants, le tic-tac d'une horloge. 

La lumière venant de la fenêtre d'en face balayée de ses rayons poussiéreux, le jour, puis vient la danse de la lune. 

Je ne me plains pas. Je suis à ma place. 

Je marque les heures de mon ombre. 

Je sais que je suis beau, car en peignant le mur, ils m'ont enduit du même bleu.

Je me distingue enfin des autres.

Pourtant, qui suis-je ? 

 

Rien qu'un clou.